L’UFR dans un cul-de-sac étroit ?

Publié le par FSR

Dirigée par Timane Erdimi, la ligne de conduite de l’UFR est-elle de « libérer N’Djamena de force ou être forcés à rester à Khartoum à jamais » ? Telle est la tragique question. Et le Président de l’Union des Forces de Résistance (UFR) n’a pour l’instant que des détracteurs parmi les internautes tchadiens. C’est le moins que l’on puisse dire, vu la fréquence quasi-quotidienne, depuis janvier, des réactions indignées publiées sur les sites internet allant jusqu’à dénoncer un complot « UFR » imaginaire ourdi contre le peuple par Timane Erdimi et son oncle Idriss Déby Itno. Ce n’est plus une simple opinion formulée par un internaute à l’imagination féconde, mais un constat difficile à camoufler : les Tchadiens, dans leur majorité, ne font pas confiance au Président du RFC pour donner corps à une stratégie politique capable de répondre à leurs attentes.

Toutefois, il n’est pas dans mon intention d’abonder dans le même sens que les gentils détracteurs de Timane Erdimi pour finalement ressasser les mêmes arguments de complot ou de risque de continuité du régime avec un homme nouveau. Je voudrais, au contraire, quitter quelques instants les sentiers battus afin d’aborder la pertinente question de la bonne foi, des politico-militaires et du régime, dans leur disponibilité à engager des négociations politiques saines et sereines.  Car, il faut bien l’admettre sans hypocrisie, tous les Tchadiens ne sont pas prêts à revivre des guerres fratricides inutiles et leurs conséquences sur leurs vies et leurs conditions socio-économiques. A vrai dire, à part quelques arrivistes, incapables d’aligner deux paragraphes cohérents dans leurs arguments en faveur de la solution armée, les Tchadiens dans leur ensemble se refusent à la guerre. L’une des principales attentes des Tchadiens, c’est d’ailleurs, comme l’avait exprimé à sa façon, feu l’illustre Ibni Oumar Mahamat Saleh, le refus de « la prise du pouvoir par les armes ainsi que de sa confiscation par les armes ». Déclaration d’une morale politique profonde jamais exprimée par quiconque et qui a valu à son auteur, pour le bonheur ignoble de tous les criminels politico-affairistes confondus, une fin tragique.

Ainsi donc, la négociation politique est-elle préférable à tout affrontement armé. C’est le vœu de tous les Tchadiens pour ramener la paix dans notre pays. Sans être directement impliqués dans les conflits, des organismes comme la CIDI du Dr Djimé Adoum et le CSARP de Kemneloum Djirabé ainsi que les ADH font en ce sens un travail considérable de lobbying, d’information et de sensibilisation pour la tenue d’une table ronde pour un dialogue inter-tchadien. Dans l’absolu, hormis Timane Erdimi, vous allez constater progressivement que la plupart des chefs rebelles ne sont pas strictement pour la guerre et proclament leur vœu de négociation pacifique à chacune de leurs interventions. Idriss Déby Itno, de son côté, affirme souvent que le Tchad reste ouvert au dialogue pour une paix durable et sincère. Dans une déclaration récente rapportée par le site internet de la Présidence du Tchad, le chef de l’Etat a réaffirmé qu’il est allé « à la recherche de la paix » mais que ce sont ses adversaires « qui campent sur leur incompréhension ». Etonnante déclaration, n’est-ce pas ?

En effet, contrairement aux dernières affirmations de Déby, le général Mahamat Nouri a, dans une interview avec Marchés Tropicaux en date du 29 février 2008, affirmé que « nous ne trouverons la solution qu'autour d'une table ronde qui doit regrouper les politico-militaires, les partis politiques, les membres de la société civile et les associations de défense des droits de l'Homme ». Le général Nouri avait auparavant indiqué, dans un entretien à France 24 (le 22 février 2008), sa vision face à Jean Ping, Président de la Commission de l’Union africaine, en soulignant que « le problème tchadien est avant tout un problème politique, donc il faut nécessairement un dialogue politique pour le résoudre. Une victoire militaire n'est pas forcément une solution. C'est pourquoi j'ai proposé un « dialogue inclusif » qui regroupe toute la classe politique tchadienne, c'est-à-dire les partis politiques, l’opposition politico-militaire (…) pour trouver une solution définitive au problème du Tchad ». Cette disponibilité à la négociation a été approuvée par Jean Ping qui avait rappelé qu’il croit que « les problèmes doivent être réglés par la négociation. C'est une première affirmation de l'Union africaine. Il faut négocier pour trouver une solution au problème. La solution militaire n'est pas toujours appréciée ».

Au milieu de l’année dernière, précisément le 15 juin 2008, dans un communiqué rendu public et repris par la presse internationale, l'Alliance Nationale, sous la direction de Mahamat Nouri,  s’était déclarée "prête à négocier avec N'Djamena". La disponibilité de Mahamat Nouri à la négociation avec toutes les composantes de la nation est incontestable depuis l’entrée en rébellion du général. Le 23 juin 2007, par exemple, Mahamat Nouri a déclaré à l’AFP que « les négociations de Tripoli devraient mener à un dialogue entre toutes les composantes de la société tchadienne, qui aboutirait à une solution globale ».

Le colonel Adouma Hassaballah a, pour sa part, déclaré dans un entretien en date du 4 novembre 2008, que « si le gouvernement tchadien prend contact avec nous pour organiser un dialogue inclusif en présence des partenaires du pays nous ne refuserons pas. C’est ce que nous avons toujours réclamé. Comme vous le savez, la guerre nous a été imposée par Idriss Deby. Nous connaissons mieux que quiconque les conséquences de la guerre ». Le Président de l’UFCD et vice-Président de l’UFR avait d’ailleurs lancé un appel au dialogue à l’endroit du Premier ministre en déclarant que « si Youssouf Saleh Abbas veut entrer dans l’Histoire du Tchad, il doit convaincre son Président d’engager des négociations inclusives ».

Abdelwahid Aboud Mackaye, responsables de l’UFDD fondamentale et actuel vice-Président de l’UFR, a affirmé, lui aussi, qu’il était disposé à la négociation, par exemple lorsqu’il devait de se « rendre en Libye pour entériner solennellement l’accord du 25 octobre 2007 ». Par suite, son mouvement à rendu public plusieurs communiqués pour appeler Déby Itno au dialogue.

En février 2008, après la bérézina, c'est l’ex-porte-parole de la Coordination militaire unifiée, Abderaman Koulamallah qui a déclaré que « à présent nous sommes disposés à lancer un dialogue national pour parvenir à une solution pacifique du conflit »,  car,  avait souligné le porte-parole des rebelles, « nous voulons arrêter la guerre et lancer le dialogue pour la constitution d’un gouvernement réellement démocratique ».

De telles déclarations, plus ou moins de bonne foi, sont légion et je ne saurais les énumérer toutes. Ce que j’ai relevé en revanche, c’est l’absence totale d’une déclaration de ce genre de la part du dirigeant du RFC et nouveau Président de l’UFR. Monsieur Timane Erdimi, n’a jamais clairement exprimé sa disponibilité pour un dialogue national, même par hypocrisie. Au contraire, il a été par exemple le premier à dénoncer, avant même sa signature, l’accord du 25 octobre 2007 à la négociation de laquelle il a pourtant pris part. Dans une dépêche de RFI datée du 24 octobre 2007, la radio internationale nous apprenait, en effet, que « à deux jours de la date à laquelle les autorités tchadiennes et quatre mouvements rebelles de l’Est doivent solennellement entériner l’accord signé à Tripoli au début du mois, l’un des chefs de ces mouvements, Timane Erdimi, a déclaré que ce texte était « caduc ».  Mais, la dépêche ajoutait que ce sont là « des propos que les autres responsables de mouvements ne veulent pas reprendre à leur compte » et que « le général Nouri qui dirige l’UFDD se garde bien, lui, de dire que le texte du 3 octobre est dépassé. Il émet simplement des doutes sur son application ».

On pourrait pérorer longuement sur la mauvaise foi d’Idriss Déby Itno à vouloir négocier des accords spécifiques ou séparés avec chaque groupe armé à l’instar des accords signés avec Al Djinédi, Ben Barka ou encore Issakha Diar, il reste que la volonté et la disponibilité à négocier pacifiquement sont affirmées chez l’ensemble des politico-armés, hormis Timane Erdimi. Certes, pour se justifier ou se donner bonne conscience, l’ancien Directeur de cabinet de Déby affirme que ce dernier adopte une « gestion catastrophique du pays » et exige, dans une déclaration du 27 juin 2007, que « pour changer cette situation,(…) d'être partenaires à part égale dans la prise de décision ». Mais en réalité, je crois que même si demain on lui donnait le poste de Premier ministre avec tous les pouvoirs dévolus au statut de chef d’une opposition majoritaire à l’Assemblée nationale, Timane Erdimi ne négociera pas avec Idriss Déby. Conflit d’ordre personnel transformé en rivalité familiale, voire ethnique, c’est la raison supposée. Mais, de bonne guerre quand même, car Idriss Déby ne lui laisse pas non plus le choix de négocier, car il avait juré d’avoir la peau de son neveu au lendemain de l’attaque de N’Djamena dans une interview, accordée à Jean-Pierre Elkabach d’Europe 1, le 6 février 2008.

D’où la question de savoir si finalement avec une UFR dirigée par Timane Erdimi, la ligne de conduite n’est-elle pas, « libérer N’Djamena de force ou être forcés à rester à Khartoum à jamais » ? Le 19 janvier 2009, juste après sa désignation à la tête de l’UFR, Timane Erdimi a déclaré que « nous sommes très contents. L’UFR va nous permettre de mieux lutter contre le régime ». L’intention d’affrontement armée est perceptible dans cette déclaration. Elle est d’ailleurs énoncée dans le texte du manifeste de l’opposition politico-militaire dont la signature le 15 décembre 2008 a précédé celle des statuts de l’UFR. Une certaine presse y a vu une démarche unitaire des mouvements visant à enclencher une action militaire en vue d’un changement politique véritable conforme aux aspirations profondes du peuple. Mais je crains que l’option militaire ne soit tout simplement imposée à la majorité des chefs rebelles par le seul Timane Erdimi qui, n’entrevoyant aucune possibilité de s’insérer dans la vie politique civile sans risquer sa vie, cherche à maintenir sous son emprise une frange importante de la rébellion, source d’angoisse pour son ennemi Déby. Je répète que je ne vois pas comment le Président de l’UFR pourra faire en sorte de ne pas exposer sa vie à un assassinat politique en acceptant de partager le pouvoir avec Déby. Le risque de se faire tuer est moindre pour le général Mahamat Nouri, le colonel Adouma Hassaballah, Abderamane Koulamallah, Abdelwahid Aboud, Adoum Yacoub, Acheikh Ibn-Oumar, etc. Un risque certain est par contre à ne pas négliger pour Ahmat Hassaballah Soubiane; l'homme étant, en quelque sorte, à l'origine de la révolte des cadres du régime.

Finalement, l’UFR dirigée par Timane Erdimi voudrait-elle imposer la guerre aux Tchadiens pour régler un conflit de personnes ? Certains croient à cette lecture niaise et puérile de la tentative de Timane Erdimi de se hisser à la tête de l’Etat quand ce ne sont pas d’autres qui vont chercher sa signification dans la nature même du neveu du prince de N’Djamena. Je penche, moi, pour la seconde version avec quelques nuances. Timane Erdimi ne cherche pas à imposer la guerre aux Tchadiens ni à les sauver de quelques mains maladroites ou assassines. Il cherche tout simplement à se hisser à la tête de l’Etat et, pour rien au monde, ne voudra occuper les seconds rangs. Il cherche le pouvoir comme chaque être humain normalement constitué. Maintenant, il appartient aux autres de l’aider ou de le lâcher. Dans leur intérêt, dans leur strict intérêt. Il ne saurait y avoir deux Présidents dans un même Etat. Déby, Timane, Nouri, Adouma, Soubiane, Koulamallah, Mackaye, Tollimi, Kougou, Moungar ou quelqu’un d’autre, c’est le plus combatif qui l’emportera un jour ; et les autres le suivront ou le lâcheront pour le combattre et négocier pour trouver des compromis.  Dès lors, comme le dit Jean Ping à Mahamat Nouri, pour négocier des avantages et des concessions, « il faut simplement que les deux parties se mettent d'accord ». Pour l’instant, Timane Erdimi n’est pas d’accord pour négocier. Mais ses amis de l’UFR sont-ils tous d’accord pour un énième combat inutile ? L’UFR est peut-être dans un cul-de-sac étroit. Et la locomotive n’a peut-être pas de rapport de transmission en marche inversée. Peut-être seulement.

Nour Adoum Hissein Ben Hassaballah Abderaman Aboud

Khartoum

Sudan

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article